Un homme du 21° siècle

Hier après-midi, j’ai eu un déclic sur un article que je pensais depuis un moment. Cet article que je suis en train d’écrire.
Mary, du compte instagram @marykathill et de la chaîne youtube BR by Mary, a partagé une anecdote du quotidien avec son conjoint. Une histoire de tissu. Une histoire de vente. Une histoire de machine à laver. Vous commencez à sentir le malaise?
En résumé, son chéri achète un carré de tissu pour mettre dans la pochette de sa veste, et pour les indications de lavage, la vendeuse se tourne naturellement vers Mary et lui indique comment bien faire. Le tissu est pour lui, et non pour elle. D’abord surprise, Mary a finalement signalé à la vendeuse que c’était lui qui s’occupait des lessives.
Ah mais oui, mais bien sur, pardon pardon nous sommes en 2019. Par la suite Mary relate que la vendeuse avait adopté cette posture inconsciemment, mais lui a quand même fait remarquer sa chance.

On ne peut pas en vouloir à la vendeuse de ce magasin. On peut facilement imaginer qu’après une journée épuisante, elle soit dans des réflexes.

Et pourtant il est là le malaise. Et c’est ici que je vous partage mon expérience, et mon ras-le-bol il faut le dire. Parce que beaucoup de personnes, pourtant bien intentionnées, bienveillantes et conscientes des enjeux de l’égalité des sexes au 21° siècle, se sont permi ses des remarques obsolètes sur notre couple.

J’ai le bonheur de vivre auprès d’un homme intelligent, artiste, curieux, penseur, sensible,… Sensible?

Mon chéri n’aime pas monter les meubles IKEA, moi oui, c’est donc moi qui m’en charge.
Il n’aime pas concevoir des plans d’appartements, moi oui, c’est donc moi qui m’en charge. Il n’aime pas regarder les matchs de foot, tant mieux moi non plus. D’une manière générale d’ailleurs, il ne regarde aucun sports. Il boit plus de vin que de bière. Il aime cuisiner parce qu’il aime bien manger.
Il aime aussi choisir la couleur et la matière des rideaux. Il aime faire du shopping déco: vases, fleurs, plantes, cadres, assiettes, meubles design. Mon chéri passe beaucoup de temps sur Made.com. Il fait souvent le ménage, parce qu’il aime que l’appartement soit très propre. Il passe beaucoup de temps à composer des chansons. Il fait des sélections d’une dizaine de chemises, qui me semble être toutes les mêmes, mais dont chacun à de subtils détails qu’il remarque et le font hésiter. Une seule sera l’élue mais laquelle? Il fait les lessives, étend le linge, le plie et le range. Il veut voir des Disney, surtout s’ils sont réalisés par Tim Burton. Et oui, il pleure. Moins souvent que moi car je suis une éponge émotionnelle. Mais il pleure. Quand nous nous disputons trop fort. Quand il est triste, stressé, angoissé, trop heureux. Oui, mon chéri pleure de bonheur.

Et puis dernièrement nous avons décidé de nous marier.  A nouveau il s’est beaucoup investi. Nous avons pensé la décoration ensemble. Son nom de famille nous a indiqué le thème naturellement, ce sera les fleurs. Alors nous avons fait des recherches sur Pinterest. Lui comme moi. Il avait envie de guinguette, de himmelis, de voilages… Et je l’écoute, car il a du goût. Nous avons chiné notre déco ensemble, des heures passées dans les Emmaüs et brocantes. Un peu à Ikéa aussi mais j’en parlerai plus tard. Il a contacté les prestataires, comparé les devis, goûté les gâteaux, les vins, le repas. Si je m’occupe du bricolage en grande partie, la conception est à 60% son oeuvre.

Et pourtant. Pourtant lorsque des gens, amis ou simples connaissances, entrent chez nous pour la première fois l’on nous dit que l’on sent bien ma personnalité. La mienne. Pas la sienne, pas la notre, la mienne. Parce que le joyeux bordel organisé que nous entretenons, en le voulant artistique, n’est pas assez « masculin » pour que ce soit son oeuvre. Les couleurs, les formes, les textures. Un homme a un appartement avec un nuancier de gris et bois, et de formes cubiques c’est bien connu. Mais il a choisi ce tapis, cette table, ce vase aussi et d’ailleurs cette étagère un peu design c’est un cadeau que ma mère lui a fait, à lui, pour lui faire plaisir parce qu’il la voulait depuis un moment.

Et pourtant. Lorsque nous partageons nos idées pour le mariage avec des proches, les regards se tournent vers moi. « Tu as l’air de beaucoup t’amuser! »
Oui. En effet. NOUS nous amusons beaucoup, merci.

« Oh, tu as de la chance quand même! »
Combien de fois ai-je entendu cette phrase. Je ne compte plus. Je sais que j’ai de la chance. Mais que ce soit clair, une femme n’a pas de chance parce que son conjoint choisi des rideaux qu’il va regarder autant qu’elle. Une femme n’a pas de la chance d’avoir un conjoint qui fait le ménage de l’endroit dans lequel il vit et cuisine le repas qu’il va manger. Une femme n’a pas de la chance d’avoir un conjoint qui s’investit autant qu’elle dans leur mariage. Pas le sien à elle, le leur à tous les deux. Une femme n’a pas de la chance d’avoir un conjoint aimant et respectueux.

Mais j’ai de la chance, parce que nous nous sommes rencontrés jeunes. 18 et 21 ans. Que nous avons traversé le début de l’âge adulte ensemble, avec toutes ses embûches. Parce que nous sommes encore là. Le reste n’est pas une histoire de chance. C’est une histoire d’amour. Parce que j’aime sa sensibilité, et je l’encourage à l’exprimer. Mon chéri est sensible, et c’est magnifique de le voir s’épanouir malgré les réflexions que j’ai pu entendre à nos débuts. Parfois même devant lui.

« Ah ouai tu l’as bien dressé! » –  » Non mais il est P.D, il va finir par s’en rendre compte tu verras. Tu le sais quand même? » – « Il fait la vaisselle? Ah bah c’est gentil ça! » – « Non? mais… ça fait pas un peu tarlouze quand même?  » –  » Et du coup, au lit c’est toi ou lui dessus? » – « Ah ouai je vois le genre, t’as un fouet caché sous le lit quoi! » – « Ben moi j’aimerai que mon mec fasse pareil, mais ses potes vont se moquer, et puis toutes mes copines font comme ça donc… » –  » Nan mais t’as raison, faut pas se laisser faire. 2000 ans qu’ils nous font chier, c’est normal qu’on se venge. »

Entre homophobie, sexisme, préjugés et préconçus… Oui, notre couple a fait la part belle aux commentaires innapropriés.

Pendant que je finalise cet article, il prépare le petit-déjeuner. Un vinyle de Joan Baez est joué. Ce n’est pas moi qui l’ai posé sur la platine. Je suis reconnaissante d’avoir un chéri aussi sensible. Son histoire, son éducation, ses passions, en font la merveilleuse personne qu’il est. Le père fabuleux qu’il sera, un jour. Car malgré toutes les remarques que j’ai pu entendre sur mon couple, si nous avons des fils, nous les éduquerons ainsi. Avec un père qui pleure, un père qui joue, un père qui fait le ménage, qui choisit des rideaux, qui fait des gâteaux et sait recoudre un bouton.
Parce que quand je regarde l’homme d’aujourd’hui, c’est ce que je vois. Je vois l’homme qui sera à mes côtés toute ma vie, pour le pire, mais surtout le meilleur.

Pour aller plus loin:
Je vous encourage vivement à regarder le site Justin Baldoni ( co-star de Jane the virgin): We are man enough.
Sa vision de la masculinité et de la paternité sont vraiment inspirantes.

2 commentaires

  1. Ooooh ma chère ! Comme je vous comprend ! On vit la même chose ici sans les commentaires aussi dégradants… Juste les « t’as de la chance ». Oui, on a de la chance de les avoir trouvé, dans un monde aussi sexiste. On a de la chance qu’ils aient le courage d’assumer leur personnalité sans la cacher simplement pour éviter les clichés.

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    1. Oh mais il est où ce pays merveilleux où les gens se retiennent au moins de dire des horreurs? Ceci dit, le « juste »… Mais à répétition ce n’est plus « juste ». C’est simplement un témoin clignotant qu’il y a encore besoin d’éveiller les consciences. Les hommes et les femmes, ce vaste sujet 🙂

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