Orientation et ré-orientations

Il y a quelques temps, je vous demandais sur Instagram si un article sur mon parcours professionnel, souvent qualifié d’atypique par mes collègues, vous intéresserait.
Contrairement à ce que je pensais, vous étiez nombreux à me répondre oui.
Alors j’ai commencé à faire le point. Mon dernier diplôme, le pourquoi du comment, et finalement, je suis remontée très loin.

Le premier test d’orientation

Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce premier rendez-vous avec la conseillère d’orientation, à la fin du collège. Cette question angoissante.

Que veux-tu faire plus tard?

Mais Madame, ça dépend, c’est quand plus tard? Parce pour ce week-end j’ai un livre mais ensuite… Ah si, dans 17 jours j’ai mes règles donc je vais surement rien faire à part souffrir au fond de mon lit.

Il faut dire qu’à 14 ans, mes perspectives de « plus tard », étaient très floues.

Oui mais qu’est ce que tu aimes faire?
« Euh… Lire et écrire. Enfiler des perles (littéralement). Des cookies. Chanter Voilà. »
Forcément, Princesse n’était pas un plan de carrière envisageable.
En revanche libraire ou bibliothécaire si mais va savoir pourquoi, à l’époque personne ne m’a parlé de ça.

Le premier test sur l’ordinateur du CIO, deux an plus tard, révèle que je dois faire un métier artistique. Avec ma mère on réfléchit. Ok on va partir sur journaliste. Oui j’avais pas tout compris.
Mes bulletins plus que moyens, mon bac obtenu au ras des paquerettes, les IUT et écoles de journalismes rient gentiment et me disent au revoir. Bon. Reste la fac. Lettres modernes avec une option info com.
L’option sera très en dessous de ce que j’espèrais. La fac trop floue. La liste de livres intéressantes. Je décroche et je passe l’année à lire les oeuvres au programme sans me présenter en cours.

« Mais que vas-tu faire de ta vie? »

Je ne sais pas. Ma soeur, de 3 ans ma cadette, fais quelque chose de super concret. Avec un vrai métier. A 15 ans elle est au lycée hôtellier et veut enchainer sur un BTS et puis après…

Je décroche. Mes copines de lycée s’épanouissent. Je suis la seule à être perdue? Je fouille, découvre une histoire de BTS Communication. Ma foi pourquoi pas. Ca a l’air amusant, tentons ca.

Je postule dans quelques lycées, loin, très loin de chez moi. Je veux partir, voir autre chose. Dans mes choix, un lycée parisien, un lycée dans la campagne du valenciennois. Je pars pour le nord.
La communication aurait pu me plaire. J’en aimait la théorie. Je fais deux stages qui m’en dégouteront. Le premier, dans une grande agence, a tout pour faire rêver. Je suis déclarée « chanceuse » d’avoir trouvé un tel stage. J’y découvre des gens mesquins, opportunistes, prompts aux ragots et médisances. Quelques histoires de fesses et drogues me font réaliser que non, décidément ma place n’est pas là.
Le second stage, plus court, je le ferai en partie commerciale. Je serai victime de harcèlement sexuel pendant les 6 semaines de la part de mon tuteur de stage, le directeur commercial. Nous sommes trois dans le local, lui, moi et la secrétaire. Le reste de l’entreprise est dans une autre local, ailleurs. Il mettra également ma vie en danger lors de déplacements en grillants de nombreux feux rouges et priorités à des poids lourds, ce qui génèrera chez moi des crises d’angoisses très fortes le soir et les week-ends. Il concluera notre collaboration en écrivant sur mon rapport de stage que je suis associable et peu prompt au travail d’équipe. J’ai informé mes tutrices de stages au lycée de la situation, de manière régulière, en donnant des exemples concrets. Pourtant, à l’oral de l’examen de ce stage, c’est son avis à lui qui aura le plus de poids, et malgré les nouveaux clients que j’ai trouvé, les milliers d’euros que cela a rapporté, j’aurais 13. Parce que « dans la vie, il faut savoir ce que l’on veut ».

J’obtiens pourtant mon BTS avec de très bonnes notes. Pour la suite, je pense rester chez mes parents, travailler un an et mettre de l’argent de côté. Cela devrait me laisser le temps de savoir quoi faire de ma vie.
Après des mois à ne trouver que quelques jours d’intérim par ci par là, je décide sur un coup de tête de regarder les offres sur Paris, ou mon copain vient d’emménager.
2h plus tard j’ai un entretien pour le surlendemain.
Je signe alors mon premier CDI et emménage avec lui dans 17 m2. On restera 6 mois, avant que le plafond ne s’effondre littéralement sur nous pour un problème d’humidité.

J’ai été vendeuse pendant 2 ans dans un grand magasin de Puériculture en plein coeur de Paris. J’aimais bien ce travail même s’il m’épuisait. Le niveau sonore toujours trop fort pour moi, les lumières aveuglantes et la sollicitation constante des clients en faisait une situation difficilement tenable dans mon cas personnel.

Quelques mois après mon arrivé sur Paris je décide de réaliser un de mes rêves. Je tente une école de théâtre. Je fais le tour de la question, et n’y connaissant finalement rien, je décide de tenter le cours Florent, pas loin de chez moi. A la rentrée suivante je suis parmi les élèves. J’ai 22 ans et je fais partie des plus agées de ma classe.
L’an suivant cela change. Des trentenaires, des quarantenaires même, sont sur les bancs. Je trouve un peu plus ma place, si l’on peut dire. Je dis souvent en plaisantant à demi que ces études étaient la thérapie la plus chère que je pouvais faire.

Pour le dire autrement, j’y ai énormément progressé comme individu faisant partie d’une société. J’y suis entrée persuadée que je voulais être comédienne. Quand je termine mon cursus, à 25 ans, je suis plus réaliste. L’accès à mes émotions est très aléatoire. La plupart du temps, surintellectualisé, plus rarement, complètement explosif et incontrolable.
Je peux avoir des moments de grâce puis ne rien sortir pendant des semaines. Non que je ne veuille pas. Aujourd’hui, à bientôt 30 ans, je n’ai aucun moyen de contrôle ni une compréhension complète des émotions. Elles sont, par nécessité, très bien rangées, organisées. Il m’est en fait très difficile (pour ne pas dire impossible actuellement) de faire un métier où il faut les sublimer en permanence, et de vivre dans un monde où elles m’handicapent au plus haut point.

Se pose aussi la question de l’argent. L’irrégularité des revenus m’angoisse profondément. Aujourd’hui encore en y repensant, ma gorge se serre.
Dans le même temps, ma troisième et dernière année est marquée par l’assistanat pédagogique. Je découvre que j’adore le rapport aux élèves, l’échange et la transmission. Précipitament, je revois une conseillère d’orientation de la sorbonne. Devenir prof à mon âge c’est possible? Pas de soucis, mais il faut se dépêcher, les dossiers il faut les déposer pour dans 3 semaines maximum.
Je termine mon cursus à Florent sans regrets. La fin de l’année est marquée par deux représentations publiques d’une pièce que j’ai écrite. La salle est remplie à chaque fois, nous décidons de continuer à travailler après l’arrêt de nos cursus. Une compagnie se monte.

En parralèle, septembre marque mon retour à la fac. Nanterre est immense. Je me perds. Dans tous les sens du terme.
Je découvre en même temps que je fais partie de cette catégorie de gens « les hauts potentiels ».
J’aime bien le mot potentiel. Il laisse des possibilités.

Je crois que cette année de licence, en Sciences de l’éducation, sera la meilleure année d’études « classiques » que j’ai eu. Loin de mon souvenir de la fac, différent du BTS, je retrouve l’amour du partage que j’avais découvert chez ce prof de littérature un peu décalé au lycée, celui qui nous avait convaincu de regarder deux fois le Molière d’Ariane Mnouchkine. La première, on ne savait pas à quoi s’attendre. La seconde, on savait qu’on serait assis 4h, qu’on aurait mal aux fesses, que cette fin nous semblerait interminable. Mais il nous vend la rencontre avec Ariane à la fin du film. La voir, en vrai.

« Pourquoi, à la fin, Molière meurt en avançant et reculant dans cet escalier? »
 » Mais, la musique était si belle, vous auriez pu la couper vous? »
Sa réponse nous souffle.

Après ma licence, j’ai enchaîné sur le master pour préparer le concours des écoles. Je sais déjà que ce n’est pas terminé. J’ai des idées, des envies que je ne veux pas freiner.
Ma vie professionnelle elle est comme cette fin de film. La musique est si belle, pourquoi devrais-je la couper?


Merci à Monsieur S. prof de littérature dans ce lycée de campagne, qui sauvait mes semaines sans le voir.
Merci à Vincent. Qui n’a probablement jamais trop compris qui j’étais. Moi non plus. Mais qui a toujours eu du respect et qui m’a transmis beaucoup plus qu’il ne le croit.
Merci à Monsieur M. maître à luniversité de Nanterre. Il rend chaque question essentielle, et chaque cours indispensable.
Merci à Madame B. professeure d’espagnole dans ce collège de campagne. Aujourd’hui je suis prof. Je ne fais pas de cours d’espagnol, mais j’essaie de mettre au moins autant de bienveillance et de jeu dans mes cours que vous.
Merci à Monsieur F. professeur remplaçant d’histoire à la fin de mon collège. Je n’ai toujours pas digéré Nuit et brouillard. Mais dans l’histoire je vois plus que des dates maintenant.
Merci à Ariane Mnouchkine, qui a pris le temps de répondre à des questions de lycéens, un soir dans un théâtre Nantais, il y a 12 ou 13 ans.

Vous aviez raison. Je n’ai pas pu couper la musique.

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